Cette expérimentation est issue de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, promulguée le 23 mars 2019.
Cette expérimentation, prévue pour une période de 3 ans à compter du 1er septembre 2019 sera active dans sept départements : les Ardennes, le Calvados, le Cher, la Moselle, la Réunion, la Seine-Maritime et les Yvelines.
Le système avant la réforme :
Historiquement, toutes les infractions les plus graves - tous les crimes - étaient jugées par des Cours d’assises départementales. Ce système mis en place à la Révolution française constitue une avancée inspirée des idéaux des lumières selon lesquels la justice doit être rendue pour et par le peuple, autrement dit “au nom du peuple français”.
Ainsi, dans les Cours d’assises, les magistrats professionnels siègent au côté d’un jury populaire composé de citoyens lambdas pour juger des infractions les plus graves.
Aujourd’hui, la Cour d’assises se compose de trois magistrats professionnels : un Président et deux assesseurs ; ainsi que de six jurés en première instance (neuf en appel).
Le jury populaire se compose de citoyens de plus de 23 ans, sachant lire et écrire en français, jouissant de leurs droits politiques, civils et ne se trouvant dans aucun cas d'incapacité ou d'incompatibilité listées à l'article 257 du code de procédure pénale. Les jurés sont tirés au sort sur les listes établies dans chaque département à partir des listes électorales.
Si vous rentrez dans ces catégories vous pouvez donc à tout moment être tiré au sort pour une session d’assises.
Sachez que cette mission est obligatoire au risque de se voir attribuer une amende de 3.750€ et qu’il existe certains cas de dispense pour des motifs graves (problème de santé, justificatifs des frais engagés...). En échange, le juré reçoit une indemnité journalière de comparution, une indemnité de voyage et de séjour (frais de déplacement, repas) ainsi que, sur attestation de son employeur, une indemnité de perte de salaire.
Les nouvelles Cours criminelles :
À mi-chemin entre la Cour d'assises, où sont jugés les crimes, et le tribunal correctionnel, qui examine les délits, la Cour criminelle sera compétente pour les crimes punis de 15 ou 20 ans de réclusion. Sont concernées les personnes accusées de viol, d'homicide involontaire, d'actes de torture ou de barbarie, de vol à main armée ou de séquestration. On estime qu'environ 60 % des affaires qui seront jugées dans ces instances concerneront des crimes sexuels.
Les Cours d'assises continueront, de leur côté, à se pencher sur les crimes passibles de peines plus lourdes, comme les meurtres (30 ans de réclusion) ou les assassinats (perpétuité), sur les crimes commis en état de récidive et sur l'ensemble des crimes jugés en appel.
Exit les jurys populaires, ces Cours criminelles seront exclusivement composées de magistrats professionnels (5 au total).
Dans les 7 départements évoqués, les personnes mises en accusation devant la Cour d'assises avant mai 2019 peuvent être renvoyées devant une Cour criminelle, avec leur accord et sur décision du premier président de la Cour d'appel.
Cette expérimentation est annoncée comme une réponse à deux problématiques soulevées par le système actuel :
- d’une part la correctionnalisation, pratique consistant à rétrograder la qualification pénale d’un crime en délit. Ainsi, par exemple, des faits initialement qualifiés de viol par le juge d’instruction seront finalement requalifiés à la fin de l’instruction en agression sexuelle, dans le but d’éviter une mise en accusation devant la cour d’assises.
- d’autre part, les délais excessifs d’audiencement devant les Cours d’assises - entre quelques mois et plusieurs années – qui valent à la France d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Critiques du nouveau système :
Concernant l’argument de la correctionnalisation, il faut rappeler que c’est uniquement avec l’accord de la victime que la correctionnalisation peut être faite. Indiquer que la correctionnalisation contrevient au droit des victimes, est un raccourci fallacieux.
Rappelons également que notre système judiciaire souffre aujourd’hui d’une pénurie générale de magistrats et que cette réforme fait passer de 3 à 5 le nombre de magistrats siégeant dans une même juridiction.
Enfin, depuis quelques années, les critiques se multiplient à l’égard du jury populaire. Les jurés sont considérés comme plus perméables à l’actualité. Ils offriraient donc de moins bonnes garanties de justice avec des jugements emplis d’émotions.
Pour autant, le jury populaire est une institution qui constitue un contrepoids aux travers inhérents à la professionnalisation de la Justice dont la complexité sociale.
Lors d'un procès d'assises, tout est expliqué à l'oral afin de faciliter aux jurés – qui ne sont pas des professionnels du droit – la compréhension des tenants et des aboutissants de l'affaire. Les affaires sont jugées souvent sur plusieurs jours afin de prendre le temps d'écouter des témoins et des experts et de les interroger.
Désormais, et ce fut le mot d’ordre du ministère public lors de l’ouverture des premières sessions expérimentales des cours criminelles, les juges étant tous professionnels, les affaires qui nécessitaient autrefois 4 ou 5 jours d'écoute, de débats, de relecture du dossier ne se dérouleront plus que sur une seule journée. Les magistrats ont accès au dossier, il n’est donc plus indispensable d’entendre les témoins et experts, alors même que parfois une nouvelle écoute, un détail passé inaperçu, une précision sur un terme peuvent modifier l’intime conviction des jurés et magistrats.
Or une Justice de qualité est une justice qui doit pouvoir prendre son temps lorsque la complexité de l’affaire et/ou l’enjeu (plus de 10 à 20 ans de réclusion criminelle) le requiert.
Le temps de l’audience est un temps capital aux assises pour permettre au prétoire d’être réellement un lieu d’échanges, de compréhension et de réflexion pour les accusés, mais aussi pour les victimes.
Les Cours d’assises demeurent aujourd’hui, le seul endroit où les citoyens, qui bien souvent n’ont jamais ou rarement mis les pieds dans un tribunal, sont pleinement confronté à leur propre système judiciaire. Au delà d’une garantie pour les droits de la défense, il s’agit plus généralement d’une garantie pour la démocratie. À ce titre il sera important d'observer et d'étudier l'expérimentation avant de légiférer définitivement sur ce point.