CEDH, Lambert et autres c. France,n°46043/14, 5 juin 2015
Conseil d'État, Ordonnance du 24 avril 2019, Interruption des traitements de V. Lambert N° 428117
Depuis 2008, l’affaire Vincent Lambert voit se déchirer une famille autour de l’arrêt des traitements d’un jeune homme « en état de conscience minimale » depuis plus de 10 ans. Ce dossier est devenu emblématique dans les questionnements liés à l'acharnement thérapeutique, l'euthanasie et le « droit à mourir dans la dignité ».
L’encadrement légal de l’euthanasie en France
L’euthanasie est une pratique (action ou omission) visant à provoquer le décès d'un individu atteint d'une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales ou physiques intolérables.
En France, l'euthanasie active (administration d’une substance létale) est qualifiée d'assassinat ou d'empoisonnement prémédité punissable théoriquement de la réclusion criminelle à perpétuité.
L'euthanasie passive est qualifiable de non-assistance à personne en danger, dans le cas d'une personne n'étant pas gravement malade.
Concernant les personnes gravement malades, la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 est venue autoriser la suspension des soins “lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire.”
L’affaire Vincent Lambert
Le 29 septembre 2008, Vincent Lambert (32 ans) est plongé dans un coma artificiel à la suite d’un grave accident de la route.
Depuis 2013, l’équipe médicale du CHU de Reims a annoncé à cinq reprises la cessation de l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert.
Ces décisions sont soutenues par la femme (qui est aussi sa tutrice légale) et une partie des frères et soeurs de Vincent Lambert.
Le reste ses frères et soeurs ainsi que ses parents sont toujours opposés à ces décisions. Ils ont systématiquement saisi le tribunal administratif et le Conseil d’État chaque fois que les décisions de première instance n’étaient pas en leur faveur.
Dès 2014, le Conseil d’État, a ordonné l’arrêt des traitements suite à une expertise considérant une dégradation générale de l’état du patient et l’irréversibilité de ses lésions cérébrales.
Les parents de Vincent LAMBERT saisissent alors la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Dans son arrêt la Cour a conclu à la non-violation de l’article 2 (droit à la vie) en cas de mise en œuvre de la décision du Conseil d’État. Elle considère qu’en la matière, au vu de l’absence de consensus des États membres, une large marge d’appréciation doit être laissée aux États.
La Cour est dès lors arrivée à la conclusion que cette affaire avait fait l’objet d’un examen approfondi tant au vu d’une expertise médicale détaillée que d’observations générales des plus hautes instances médicales et éthiques.
En parallèle, et depuis 2013, les parents de Vincent Lambert ont également livré une bataille judiciaire contre la désignation de la femme de Vincent Lambert comme tutrice légale, ils n’ont pas sur ce point obtenu gain de cause, et ont porté plainte contre le CHU et les médecins pour « délaissement de personne hors d’état de se protéger ».
En avril 2018, le médecin de Vincent Lambert se prononce à nouveau pour la fin des traitements à l’issue de la quatrième procédure collégiale.
En réponse, les parents de Vincent Lambert saisissent pour la 4ème fois le tribunal administratif qui ordonne une nouvelle expertise médicale.
Le 18 novembre 2018, le rapport des experts conclut à un « état végétatif chronique irréversible » qui ne lui laisse plus « d’accès possible à la conscience ».
En conséquence, le 24 avril 2019, Le Conseil d’État juge valide cette décision.
Les problématiques juridiques soulevées par l’affaire Vincent Lambert
Dans cette affaire, Vincent Lambert n’a pas laissé de directives anticipées, ni désigné de personne de confiance, ainsi il reviendra à la procédure collégiale de déterminer s’il devait y avoir un arrêt des soins.
Les parents de Vincent Lambert estiment qu’il est handicapé et que lui couper la nutrition et l’hydratation équivaut à une forme d’euthanasie.
À l’inverse, son épouse et sa soeur dénoncent un « acharnement thérapeutique » depuis 2008. C’est ce point de vue qui est soutenu par le Conseil d’État dans cette affaire où selon lui la poursuite du traitement traduirait une obstination déraisonnable.
Le 3 mai 2019, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies saisis par les avocats des parents de M. Vincent Lambert, a demandé à l’État français de suspendre la décision d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation entérales de M. Vincent Lambert pendant l’examen de son dossier par le Comité.
Le 7 mai 2019, l’État français a indiqué au Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies que les juridictions nationales ont jugé, à plusieurs reprises, que la décision d’arrêt des traitements était conforme à la loi ainsi que la CEDH. En conséquence, la France indique dans les observations argumentées qu’elle a adressé au Comité des Nations Unies que « la remise en cause de la décision d’arrêt des traitements [...] priverait d’effectivité le droit du patient à ne pas subir d’obstination déraisonnable ».
Les avocats des parents de Vincent Lambert ont annoncé, dimanche 19 mai 2019, qu’ils s’apprêtaient à déposer trois nouveaux recours pour tenter de stopper l’arrêt des traitements.
Le 20 mai 2019, "l’arrêt des traitements" et "la sédation profonde et continue" ont commencé.
Ce même jour, les parents de Vincent Lambert ont saisi la CEDH en urgence, cette dernière a rejeté le pouvoir le soir même, faute d'éléments nouveaux.
Saisit également en urgence, la Cour d’appel de Paris a ordonné le 20 mai 2019 le maintien de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert. Elle justifie sa décision par le respect des mesures provisoires demandées par le Comité international des droits des personnes handicapées.
Pour s’estimer compétente, la Cour d’appel (juge judiciaire) a retenu la notion de « voie de fait », estimant que l’Etat a violé un droit fondamental : le droit à la vie. Ce qui lui permet de prononcer une injonction envers l’Etat, en lieu et place du juge administratif.
La position adoptée par la Cour d’appel de Paris est assez surprenante car le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies n’est pas une juridiction, à ce titre ses décisions n’ont pas de caractère contraignant en droit interne.
La Cour d’appel de Paris motive ainsi sa décision :
“Indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité, l’Etat français s’est engagé à respecter ce pacte international.
Il en résulte qu’en l’espèce, en se dispensant d’exécuter les mesures provisoires demandées par le Comité, l’Etat français a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu’elle porte atteinte à l’exercice d’un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu’elle attrait au droit à la vie, consacré par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme, et donc dans celle des libertés individuelles.
En l’état de cette violation d’une liberté individuelle, le juge des référés a le pouvoir de contraindre l’Etat français à exécuter les mesures provisoires préconisées par le Comité le 3 mai 2019. La décision entreprise sera dès lors infirmée.” (COUR D’APPEL DE PARIS Pôle 1 - Chambre 3 ARRET DU 20 MAI 2019 - N° RG 19/08858)
Ainsi, allant à l’encontre de la décision de la Cour européenne des Droits de l’homme et à la décision du Conseil d’État jugeant légal l’arrêt des soins, la Cour d’appel de Paris choisit de donner un caractère obligatoire aux mesures qu’elle dit elle-même être seulement « recommandées », par ce comité de l’ONU.