Décision n°2019-778 DC du 21 mars 2019
Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
Nous nous concentrerons dans cet article exclusivement sur le volet pénal de cette réforme, bien que le texte couvre bien d’autres aspects du droit.
Principales dispositions censurées par le Conseil constitutionnel sur le volet pénal
❌Retoquée : la possibilité de recourir beaucoup plus largement aux techniques d’écoute, d’interception des communications électroniques et de géolocalisation.
Le Conseil a considéré que cette disposition n’opérait pas une conciliation équilibrée entre l'objectif de recherche des auteurs d'infractions et le droit au respect de la vie privée.
→ Ainsi, aujourd’hui les enquêteurs peuvent recourir à ces techniques d’écoute, d’interception des communications électroniques et de géolocalisation pour les seules infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées et non pour tous les crimes.
❌Retoquée : la possibilité permettant au procureur de la République d'autoriser les agents chargés de procéder à la comparution d'une personne à pénétrer dans un domicile après six heures et avant vingt-et-une heures.
Le Conseil a considéré que le législateur n'avait pas assuré une conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d'infractions et le droit à l'inviolabilité du domicile.
→ Ainsi, aujourd’hui les enquêteurs peuvent toujours arrêter de force une personne dans un lieu ouvert, s’ils frappent à sa porte et qu’elle les autorise à rentrer chez elle, mais ils ne peuvent pas rentrer dans un domicile sans l’autorisation express du juge des libertés et de la détention pour des crimes ou délits punis d’une peine d’emprisonnement de 3 ans ou plus.
❌Retoquée : le recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de détention provisoire sans l’accord de l’intéressé.
Le Conseil a considéré que les dispositions contestées portaient une atteinte excessive aux droits de la défense au regard de l'importance de la présentation physique de l'intéressé devant le magistrat et en l'état des conditions dans lesquelles s'exerce un tel recours (bug à répétitions, coupures...).
→ Ainsi, aujourd’hui les détenus sont toujours extraits de leurs cellules pour venir assister à l’audience relative à leur détention provisoire. S’ils le souhaitent, ils peuvent recourir à la visioconférence si le juge leur propose, cela ne leur sera pas imposé.
Les nouveautés de la réforme sur le volet pénal validées par le Conseil Constitutionnel
✅Terrorisme
Le Conseil valide la création du Parquet national antiterroriste. Ce parquet sera localisé à Paris et aura une compétence nationale pour toutes les affaires terroristes.
Cette nouvelle structure allègera le parquet général de Paris qui depuis 1986 a une compétence nationale sur les affaires de terrorisme.
L’idée est de doter cette structure de correspondants locaux et de faciliter la détection des “signaux faibles” afin de renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste.
✅Création d’une Cour criminelle sans jury notamment pour juger les viols
Le texte validé, prévoit l’expérimentation d’une Cour criminelle pour juger des crimes punis de quinze ou vingt ans de prison (comme les viols).
En lieu et place d’une Cour d’assises et de son jury populaire, cette Cour sera composée de juges professionnels. Cette expérience sera menée dans deux à dix départements pendant une durée de trois ans.
L’idée de cette loi est de limiter le recours aux Cour d’assises qui sont des juridictions onéreuses pour l’État.
Cette mesure qui éloigne encore davantage les citoyens de leur justice et crée un traitement à deux vitesses pour les crimes, inquiète lourdement les acteurs du monde judiciaire.
✅Les peines fermes aménageables
Anciennement, les peines de prison fermes inférieures à 2 ans pouvaient être entièrement aménagées dès le prononcé du jugement lorsque la personne n’était pas en situation de récidive légale.
Cet aménagement dit “ab initio” avait pour objectif d'éviter les incarcérations susceptibles de causer une perte d'emploi, de logement ou une rupture familiale.
Désormais :
- Les peines de prison ferme inférieures à 1 mois sont interdites ;
- Les peines de prison ferme de 1 mois à 6 mois seront obligatoirement et automatiquement aménagées ;
- Les peines de prison ferme de 6 mois à 1 an : il n’y a pas de caractère automatique de l’aménagement, le juge devra justifier de l'impossibilité d'un aménagement de peine, soit aménager, soit renvoyer la personne condamnée devant le juge de l'application des peines s'il ne dispose pas des éléments lui permettant d'apprécier la mesure d'aménagement adaptée, soit prononcer un mandat de dépôt (différé ou non);
- Les peines de prison ferme de plus d’1 an seront exécutées en détention sans aménagement ab initio possible.
✅Bracelet électronique
Jusqu’à aujourd’hui, le bracelet électronique était une simple modalité du contrôle judiciaire des personnes avant leur procès (ARSE - Assignation à Résidence Sous Surveillance Électronique), ou d'aménagement d'une peine d'emprisonnement (PSE - Placement sous Surveillance Électronique).
Elle devient avec cette réforme une peine à part entière.
Un tribunal correctionnel pourra ainsi directement condamner une personne à une peine de détention à domicile avec bracelet électronique.
Cette nouvelle peine autonome pourra être prononcée pour un délit à la place de l'emprisonnement, pendant une durée comprise entre 15 jours et 6 mois.
Le but du législateur est de faciliter l’utilisation de cette mesure alternative à l’enfermement. Cependant, à la différence du PSE, cette nouvelle peine autonome ne pourra pas être accompagnée d’obligations telles qu’exercer une activité professionnelle, suivre un enseignement, une formation professionnelle ou encore suivre un traitement médical ou de s'investir dans tout autre projet d'insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive.
✅ Création du “sursis probatoire” : Fusion du Sursis avec Mise à l'Épreuve (SME) et de la contrainte pénale
Ces deux régimes permettaient de soumettre le condamné laissé libre à un ensemble d'obligations et d'interdictions.
Constatant que ces deux dispositifs étaient juridiquement similaires et poursuivaient le même objectif, la loi de la réforme pénale vient les fusionner pour créer le sursis probatoire.
Cet article prévoirait que le sursis probatoire est applicable aux condamnations à l'emprisonnement prononcées pour une durée de cinq ans au plus, en raison d'un crime ou d'un délit de droit commun.
Lorsque la personne est en état de récidive légale, il est applicable aux condamnations à l'emprisonnement prononcées pour une durée de dix ans au plus.
Le sursis probatoire n'est applicable qu'à compter du jour où la décision devient exécutoire.
Cas où le sursis probatoire ne pourra pas être prononcé :
- lorsque la personne a déjà fait l'objet de deux condamnations assorties du sursis probatoire pour des délits identiques ou assimilés et qu'elle se trouve en état de récidive légale ;
- lorsque la personne a commis un crime, un délit de violences volontaires, d'agressions ou d'atteintes sexuelles ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences, qu'elle a déjà fait l'objet d'une condamnation assortie du sursis probatoire pour des infractions identiques ou assimilées et qu'elle se trouve en état de récidive légale.
Enfin, lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur d'un crime ou d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement et les faits de l'espèce justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu, la juridiction peut décider que le sursis probatoire consistera en un suivi renforcé, pluridisciplinaire et évolutif, faisant l'objet d'évaluations régulières par le service pénitentiaire d'insertion et de probation.
✅Justice pénale des mineurs
Le Conseil constitutionnel autorise le gouvernement à réformer l’ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs par voie d’ordonnance, afin de :
- simplifier la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants ;
- accélérer leur jugement pour qu’il soit statué rapidement sur leur culpabilité ;
- renforcer leur prise en charge ;
- améliorer la prise en compte de leurs victimes.
De nombreux professionnels se sont élevés contre cette réforme par ordonnance, mais le Conseil constitutionnel est formel : autoriser le gouvernement à procéder par voie d’ordonnance n’a rien d’inconstitutionnel.
Calendrier :
Le projet de loi réformant la justice a initialement été présenté en Conseil des ministres en avril 2018. Le texte a finalement été adopté lors du premier trimestre 2019.
Après son passage devant le Conseil constitutionnel la loi a été publiée au Journal officiel du 24 mars 2019.
Certaines dispositions sont d’applications immédiates et sont donc entrées en vigueur le 25 mars 2019 parce qu’elles ne nécessitent pas de dispositions réglementaires indispensables à leur application : il s’agit principalement de dispositions étendant les prérogatives des différents acteurs de la procédure pénale.
L’entrée en vigueur des autres dispositions est reportée soit au 1er juin 2019 soit au 1er septembre 2019, notamment parce que leur mise en œuvre exige l’adaptation de formulaires ou la parution de décrets ou arrêtés, indispensables à leur application.
Quant à la nouvelle ordonnance pour la justice des mineurs, elle devra être prise dans n’excédant pas 6 mois et un projet de loi de ratification devra être déposé deux mois après.