Le Rôle de la Preuve dans les Affaires de Violences Conjugales

le 2024-03-14

Introduction

En matière de violences conjugales, la preuve a une place importante, cruciale et déterminante quant à l’issue des procédures judiciaires et le sort des victimes.

Voici un petit aperçu juridique de l'importance des différents types de preuves matérielles dans les affaires de violences conjugales.

Il est important de préciser immédiatement que la preuve ne sera pas abordée de la même manière devant le juge pénal ou devant le juge civil. En matière pénale, la preuve est admise de manière libre, ce qui implique que toute preuve peut être considérée, même obtenue de façon déloyale, à condition qu'elle soit pertinente pour l'affaire. Par contre, en matière civile, la preuve doit être à la fois licite et loyale, excluant ainsi tout élément acquis de manière déloyale ou contraire aux principes éthiques.

En 2021, selon les données communiquées par le ministère de la Justice, seulement 5 901 ordonnances de protection ont été demandées, alors que l'on estimait à 208 000 le nombre de victimes de violences conjugales cette même année.(1)

Souvent, les victimes hésitent à agir, croyant qu'elles manquent de preuves concrètes pour attester des violences subies.

La preuve matérielle est un élément clé de la réussite des procédures judiciaires, toujours d’après le ministère de la Justice, en matière d’ordonnance de protection, dans 93 % des cas, le demandeur produit au moins un élément de preuve ou d’antécédents.(2)

Cadre Juridique et Types de Preuves

Revenons un instant sur la recevabilité des preuves dans le système juridique français, c'est-à-dire sur les types de preuves qu'un juge peut accepter.

Le juge pénal se fonde sur l’article 427 du Code de Procédure Pénal qui indique :

"Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction". 

Autrement dit, devant les policiers ou le juge pénal : la preuve est libre. Nous pouvons communiquer tout type de preuves : enregistrements, vidéos, photos, textos… 

Le juge aux affaires familiales lui se penche sur les articles 9 et 1353 du Code de Procédure Civile qui soulignent l'obligation pour chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de son affaire, et la nécessité de preuves licites et loyales. Dans de célèbres arrêts, la Cour de Cassation a souvent souligné l'importance de la preuve licite en matière civile (Cass. 1re civ., 7 janvier 1964). 

Il faudra donc être très attentif sur la façon dont la preuve a été obtenue.

Quelle type de preuve sera accepté 

Le dépôt de plainte 

Parmi les demandes d'ordonnance de protection, 83 % sont déposées accompagnées d’une plainte et 24 % s'accompagnent d'une main courante.(3)

Il est important de noter, comme le souligne l'article 515-10 du Code civil, que le dépôt d'une plainte n'est pas une condition nécessaire pour solliciter une ordonnance de protection.

Le certificat médical

Dans six affaires sur dix, des certificats médicaux sont présentés et attestent des violences subies.(4

À la suite de l’examen médical, le médecin établit un certificat descriptif du retentissement physique, mais aussi psychologique observé et détermine une Incapacité Totale de Travail (ITT).

Idéalement, ce certificat doit être établi par des médecins au sein des Unités médico-judiciaires sur réquisition du Parquet. 

Le témoignage de tiers 

Vous pouvez également produire des témoignages, c’est le cas dans 30 % des affaires.(5

Ils sont le plus souvent apportés par des proches de la victime (29 %). Dans ces cas-là, il est capital que ce témoignage respecte les prescriptions des articles 200 et 203 du Code de procédure civile. Pour cela, vous pouvez demander à la personne de faire son témoignage sur la base de ce modèle.

Les textos ou e-mails 

Les  textos et les emails sont recevables devant le juge civil tout comme le juge pénal. Cependant, il est nécessaire d’être en mesure de prouver l’authenticité de ces éléments, il doit être possible de vérifier que le message n'a pas été modifié et qu'il provient bien de la personne prétendue. 

Quelques erreurs à éviter : 

Les photos, les enregistrements audio ou vidéos 

C’est ici un sujet particulièrement épineux. 

Si, devant le juge pénal, la preuve est libre et, par conséquent, ces éléments peuvent être produits, devant le juge aux affaires familiales, la situation est bien plus nuancée.

L'utilisation des photos, enregistrements audio et vidéo est limitée par le respect de la vie privée et des droits fondamentaux des personnes. Ces éléments ne doivent pas être obtenus de manière illicite ou porter atteinte à l'intimité de la vie privée.

Les preuves présentées devant le juge aux affaires familiales doivent être obtenues et utilisées loyalement.

Ainsi, j’ai notamment pu produire, sans difficulté particulière, des vidéos dans lesquelles la victime indiquait oralement dès le début de l’enregistrement qu’elle filmait pour se protéger et qu’elle n’hésiterait pas à produire ces vidéos devant les policiers ou les juges. 

Afin de garantir l’authenticité, il est nécessaire de passer par l'intermédiaire d’un Commissaire de justice (huissier de justice). 

En effet, c’est un officier ministériel qui garantit l'authenticité de l'enregistrement. Il certifie qu’il n'a pas été altéré et reflète fidèlement les faits tels qu'ils se sont produits, cela renforce la crédibilité de la preuve devant le tribunal.

Cependant, il conviendra à la partie en demande de régler les frais du commissaire de justice. 

Il est toujours capital de se questionner sur la pertinence de ces éléments pour l'affaire en cours : est-il indispensable de produire cet enregistrement pour la résolution du litige ?

Si cet enregistrement se révèle être crucial et que les informations qu'il contient ne peuvent pas être obtenues par d'autres moyens, plusieurs options se présentent pour le soumettre à l'appréciation du juge aux affaires familiales, malgré tout : 

En effet, cette solution soutenue par certaines Cour d’Appel (dont Aix) vient d’être entérinée par la Cour de Cassation et constitue un revirement jurisprudentiel important. Désormais la Cour de cassation reconnaît la possibilité d'utiliser des preuves déloyales si elles sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable et qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (Cr de Cass, 22 décembre 2023, Pourvoi n°20-20.648, arrêt d’assemblée plénière).

Défis de la Collecte de Preuves

La collecte de preuves constitue un enjeu crucial dans les affaires de violences conjugales.

Dans un contexte pénal, il est essentiel de confier la collecte des preuves aux forces de l'ordre. Par contre, dans le cadre d'une procédure civile, le demandeur a la responsabilité d'apporter la preuve de ses allégations, ce qui nécessite une démarche active dans la collecte d'éléments probants.

Des solutions technologiques innovantes sont également disponibles pour soutenir les victimes de violences. Parmi celles-ci : 

Conclusion

En conclusion, le rôle de la preuve dans les affaires de violences conjugales est fondamental. Comme souligné dans cet article, la nature et la qualité des preuves présentées devant le juge, qu'il soit pénal ou civil, peuvent grandement influencer l'issue des procédures judiciaires et la protection des victimes. La variété des preuves admissibles souligne la complexité de ces affaires et nécessite une approche nuancée et éclairée.

Dans ce contexte, l'importance d'avoir un bon avocat ne saurait être sous-estimée. Un avocat compétent et spécialisé dans les affaires de violences conjugales est essentiel pour guider les victimes à travers les complexités du système judiciaire, assurer que toutes les preuves pertinentes sont correctement présentées.

En espérant que cet article vous a été utile, le cabinet se tient à votre disposition pour évoquer votre situation personnelle et trouver ensemble des réponses concrètes et efficaces à votre problème, n’hésitez pas à nous contacter.

Publications Récentes

Mentions légales